"Ho mais ta gueule !"

"Ho mais ta gueule"
"Heeeeey... J'suis resté poli, alors tu restes poli avec moi"
"Mais ouais, papy, va cuver"
"Dis moi gamin, t'as déjà vu des doigts ridés serrés ?"
"Hein ?"

Au moment où Jeff poussait porte du bar, un petit vieux dans la soixantaine venait de décocher un uppercut à faire passer un chien à trépas en plein dans la mâchoire de l'autre gars.
Le vieux se leva et contourna soigneusement le corps de son adversaire, la bouche en sang, la mâchoire désaxée, la tête un peu en vrac, le tout un peu sonné:

"Tu m'rembourses demain, ou ça va barder, p'tit con"

Et joignant le geste à l'esprit de sa parole, il lui cracha dessus.
Déjà deux gars approchaient du duo et s'occupaient de leur collègue allongé par terre. Ils le prirent sur leurs épaules et sortirent du bar en croisant le regard interrogateur de Jeff.

**C'est quoi ça ? Un incident isolé ou ?**

Ne prêtant plus aucune attention au vieux alors que le bar qui s'était tu pendant l'action se remettait à parler dans un brouhaha inaudible, suinté de vapeurs d'alcools, de mauvaises haleines et de fumées de cigarettes, Jeff s'avança vers le barman.
Le type était un peu gras, le tablier légèrement sale et, comme dans tous les stéréotypes de barmen, en train d'essuyer un verre.

"Qu'est ce que je te sers la bleusaille ?"

"Rien, je suis fauché", lui répondit Jeff, "Mais si tu peux m'indiquer qui est Rowan, je reviendrais sans doute souvent consommer par ici..."

Dans tous les bars, les habitués sont connus du barman. Comme ce vieux, là bas, c'était sans doute un habitué de longue date pour que personne ne bronche à ses gestes violents. Et derrière lui, à la table derrière, ces espèces de gros bras semblaient eux-aussi des habitués du coin. Une fille bien déshabillée sous le bras, une cigarette à la bouche, dans un coin reclus du salon, dans une ambiance presque privée... P'tin, ce genre de mecs, c'est pas vraiment ce qui inspire confiance, on dirait un vieux stéréotype de mafiosi...
N'importe quoi.

Messages : 235 Date d'inscription : 13/05/2010

Contrairement à ce que cette altercation laissait croire, les bars du territoire libre n'avaient pas grand-chose des bistrots mal famés que l'on trouve souvent dans la Zone Khurane. En principe, les établissements du territoire rebelle sont très calmes, le fait étant que les clients sont des réfugiés qui ont connu les mauvais traitements du régime autoritaire en place; aussi ces mêmes clients ne font que rarement de vagues dans ces établissements, ceci dit, l'alcool aidant, il arrive quelques dérapages, comme ce fut le cas à l'instant.

Le barman, qui était en fait le gérant, indiqua du menton une table dans un coin sombre de la salle, où était affalé une personne, un verre de bière à moitié plein (ou moitié vide) devant sa tête cachée entre ses bras. Le personnage semblait soit bourré, soit en état de somnolence. Dans un cas comme dans l'autre, ça e faciliterait peut-être pas le dialogue!

"Il est toujours là-bas, c'est "sa" table."

Expliqua le tenancier avant de retourner à ses occupations.

"Ah ouais, ok ok..."

Pour être franc, Jeff s'avoua un peu dépité. Les bourgades qu'il avait connues étaient plus animées. Là, à bien y regarder, le vieux était complètement bourré et ronflait déjà comme un pochard sur sa chaise. D'ailleurs, deux petits jeunes s'approchaient de lui pour lui faire les poches, et, ne trouvant rien, s'enfuirent en courant à travers la rue.
Au fond, ce qu'il avait décrit comme un beau mafioso, était redevenu la réalité... un Don Juan avec une pute, les deux imbibés d'alcool à en devenir naturistes en plein hiver, sans nul doute.
Bref, tout ce qu'il avait vu comme le symbole d'un bar animé et décadent, à deux doigts d'une mêlée générale salvatrice, retomba d'un coup et lui laissa voir rien de plus qu'un tripot dégueulasse, famé par des pochards sans foi ni argent.
Bref.
Ce Rowan était, d'après le barman, le mec somnolant au fond, sur "sa" table. Un habitué, donc.
Jeff, évitant deux tables vides et une où deux réfugiés parlaient de cul, s'approcha de la table de sa cible et s'asseya sur la chaise en face.

**Vous êtes Rowan ?**

Genre la question con. Mais d'un autre coté, Jeff avait pas non plus 36 choses à lui dire à ce type... Présentation, recrutement, quand est-ce qu'on part. Et il allait sans doute claquer son dernier dollar à lui payer une bière. Bordel, vie de merde, des fois. Quoi qu'avec un peu de bol, Jeff arriverait à feinter un peu...

Il attrapa la bière du gars par l'anse et la fit posa un peu violemment sur la table.
Il poussa ensuite du dos de la main celle-ci et ajouta:

"Z'êtes Rowan ?"

Facile.

Messages : 235 Date d'inscription : 13/05/2010

"Gné! Kessisspass?! C'est la guerre??"

S'exclama le supposé Rowan, sursautant brutalement après le choc de sa propre pinte de bière sur la table. Il avait la tête du mec endormi qu'on vient de réveiller rudement; pas de traces des brumes de l'alcool sur son visage, mais celles d'un réveil difficile assurément.

Le supposé Rowan donc, se frotta longuement les yeux pour chasser le sommeil, puis regarda alternativement l'inconnu qui lui avait adressé la parole, et le bock... Inconnu, bock... Bock, inconnu... Et il parut se mettre à réfléchir, disons une quinzaine de secondes, puis lâcha:

"Ah... Merci bien."

En réalité, il avait un certain doute sur la provenance de ce bock mi-plein, mais n'en pipa mot.

"Vi, c'est moi Rowan, David Rowan, qu'est ce que vous me voulez?"

Le bonhomme, qui devait avoir pas loin de 30 ans, semblait légèrement méfiant; ou alors c'était le réveil soudain qui lui donnait cet air bizarre. En tout cas, après s'être rincé l'ouverture pâteuse qui lui servait de bouche avec 2 gorgées de bière, il parut se rasséréner un peu. L'occasion d'en placer une et d'être bien écouté, sans doute.

Comme il l'avait prévu, le bonhomme un peu beurré et à peine réveillé avait pris son ancien verre à moitié vide pour un nouveau payé par Jeff. C'est un coup classique, que Jeff avait déjà fait durant ses pérégrinations pour éviter d'avoir à payer des verres à ses patrons lorsqu'il leur en devait...
Il regarda son interlocuteur attraper le bock et s'en prendre une sacrée lampée dans la gorge et il ouvrit lui-même la bouche pour parler alors:

- Je cherche un job. On m'a dit que tu cherchais des convoyeurs.

Sans chercher à aller aux détours, Jeff fit comme à son habitude et alla droit au but. Plus vite il aurait un boulot, plus vite il aurait de l'argent et donc il pourrait s'acheter cette arme qu'il avait vu un peu avant en ville: cette carabine à lunettes.
Bref, Jeff était parti pour ne pas faire de chichis et, si possible, blouser un peu ce David Rowan pour accélérer les choses.

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"Vous cherchez un job... Et on vous a dit que je cherchais des convoyeurs..."

Répéta mot pour mot le dénommé Rowan, qui affichait un air surpris; puis il lâcha dans l'air une exclamation, du genre "ah ouii!", et fouilla dans une poche située à l'intérieur de son long manteau. En ouvrant le vêtement, Jeff aurait pu avoir un aperçu d'une multitude de couteaux et autres lames, harnachés à différents endroits dans le manteau et aussi sur les vêtements du camelot.

Finalement, Rowan sortit un petit calepin et un stylo, ouvrant le carnet sur une page précise qu'il relut rapidement.

"Oui, j'ai besoin d'un convoyeur. Liberty Hill / Little Rock, puis Little Rock / Liberty Hill. Aller à vide, retour chargé. 200 km aller, et autant au retour, il y en a pour une bonne semaine à cheval. Vous avez un cheval, monsieur...?"

Rowan demandait donc 2 choses en une: si Jeff avait une monture, et si il avait un nom, accessoirement.

Lorsque Rowan ouvrit son manteau pour en sortir son calepin, Jeff put admirer sa considérable collection de couteaux en tous genres, ainsi que des épées courtes, des dagues et toutes sortes de lames fines et courtes prêtes à éventrer au moindre sourcil.
Ce mec remontait vachement dans l'estime de Jeff. Ca devait être une sorte d'assassin discret pour porter autant d'armes blanches sur lui. Ou un démarcheur en armes courtes. Moins crédible.

David parlait d'un convoi aller-retour vers Little Rock. Lorsque Jeff avait regardé ses cartes, il voyait plus ou moins où ça se situait, c'est à dire pas à coté... 400km de route en aller-retour, à pied, à 5km/h, y'avait de quoi faire ça en... 80 heures de marche, soit un peu plus d'une semaine, quoi.
Ah pardon, le monsieur parlait d'un trajet à cheval. Oh, boah, à cheval, avec un bon trot, on avait déjà moins de temps... Genre un aller retour en deux jours était déjà beaucoup plus faisable...

Sauf que Jeff... Il n'avait pas de cheval.

- Un cheval ? Nope. J'ai absolument pas de cheval, ni de matos pour le monter...

Oui, parce qu'un cheval, c'est sympa, mais sans selle... C'est nul. Pis ça pète le cul. Jeff avait déjà testé.
Pour l'histoire du nom, Jeff n'avait tout simplement pas tilté. Et puis il était persuadé d'avoir déjà donné son nom dans les minutes qui ont débuté la discussion, alors il avait un peu de mal.
Pour le coup, Jeff était un peu embêté, parce qu'un cheval, ça nécessite selle, tapis, bouffe...

Messages : 235 Date d'inscription : 13/05/2010

"Pas de cheval..." Répondit Rowan, avant d'ajouter, en souriant: "Ah bah ça c'est con, pas de cheval..."

Ce qui n'avançait pas grand chose à la chose; décidément, ce curieux personnage bien singulier était bien étrange dans son comportement. Si tous les camelots sont comme ce lascar, c'est sûr que ça doit souvent être la fête à la maison; à moins que ce guignol ait été mis en poste ici, justement parce qu'il était pas assez doué pour faire autre chose. Bizarre, en repensant au nombre de couteaux que le gars portait sur lui.

Tout à coup, Rowan redevint sérieux.

"C'est pas grave si vous avez pas de cheval, on vous en prêtera sûrement un pour trimballer le chargement de toutes manières, logique puisqu'il faudra bien un chariot pour remonter tour ça. Logique..."

L'énergumène relut plusieurs fois son carnet, puis ajouta quelque chose, et redemanda encore:

"Votre nom, c'est quoi au juste?"

Puis il arracha proprement une autre feuille, sur laquelle il nota un truc ou deux, et rangea le carnet. Il en vint enfin au déroulement de la mission:

"Bon bin, c'est très simple. Une fois arrivé à Little Rock vous allez au Blue Sky, c'est un bar sur Rock Avenue, 'pouvez pas le rater. Bref, vous y allez en soirée, parce qu'il ouvre en soirée, logique toujours, mais il y aura Virgil le vigile. C'est pas son vrai nom, mais on l'appelle comme ça. C'est un gros costaud qui aime taper, alors pour pas lui en donner envie, vous direz que vous venez voir le Chef, et vous lui montrerez ça, c'est un mot de ma part qui vous permettra d'entrer, logique. Ensuite, on vous expliquera, on vous donnera le barda qui est sur cette liste, ne la perdez pas hein, sinon ils ne pourront pas préparer la commande, logique. Voila, vous leur direz de vous filer de quoi transporter, puisque vous n'avez pas de cheval. Après, vous revenez ici, en évitant les ennuis; c'est la partie la plus jouissive de ce boulot, des fois on se fait courser par des collabos qui nous tirent dessus, c'est génial. Bref, vous évitez les ennuis et vous revenez ici, et c'est fini. Entretemps vous aurez perçu un cachet, et vous en recevrez un autre, plus important, en ramenant le cheval et la carriole là-bas. Pour le reste, on vous expliquera sur place, ya pas mal de paperasses à signer, pour les responsabilités des marchandises, l'assurance et tout ça... Trucs de comptables."

Rowan déposa alors sur la table 2 feuilles de papier: le bon de commande, et la lettre de recommandation pour le vigile Virgil.

Entretemps, Jeff se serait probablement rendu compte que ce boulot s'annonçait plus périlleux que l'idée qu'il avait du s'en faire. En plus de l'aller-retour, il faudrait compter un autre aller vers Little Rock pour percevoir la prime de mission accomplie, qui, d'après Rowan, s'élevait à un paquet de billets verts. Si l'appât du gain était au rendez-vous assurément, le danger aussi; cette histoire de collabos pilleurs de marchandises étant la plus grosse contrariété possible, et pas des moindres...

- Jeff. Jeff Hartigan.

Les choses se compliquèrent par la suite. En fait, il sortit un bout de papier et commença à faire une liste pour lui expliquer le trajet qu'il allait devoir faire.
A l'aller, simplement un "petit" trajet à pied, jusqu'à Little Rock. D'après Jeff, ce serait sans doute la partie la plus calme du boulot. Ensuite, sur place, confier la liste aux gens compétents, repartir avec un chariot et revenir à Liberty. Puis vider le chariot et aller toucher sa thune à Little Rock.
Bordel. Rien que ça, c'était dur. Entre les brigands, les aliens, les bêtes sauvages et ces saloperies de moustiques, Jeff avait le temps de clamser dix fois. Mais ça ne suffisait pas.
Rowan parlait de pilleurs de marchandises collabos. A bien y réfléchir, c'est jamais que des brigands payés par les aliens, agissant comme des bêtes sauvages et nous pompant la marchandise comme des moustiques.
Une sorte de remix des menaces précédentes, quoi.

- Parlons franchement. Si je perds la marchandise mais que je reste en vie, il m'arrive quoi ? Je ne parle pas de me tirer avec, hein... Là, je sais que j'ai toute votre clique sur le dos en plus des collabos, ce serait suicidaire. Mais si ces pilleurs me chopent la marchandise et que je survis... Je refais un voyage ou je paye de ma poche ?

Dans le même style, il en avait une aussi conne... "Et si mon cheval crève, j'ai l'air con ?". Bref, Jeff la sentait, mais alors très moyen l'affaire. Bah, avec un peu de bol, il trouverait de la compagnie ou une escorte à Little Rock...

- J'ai une limite de temps ?

Pour enfin arriver à la meilleure question du lot...

- Quand on dit "gros cachet", c'est combien, en clair ?

Messages : 235 Date d'inscription : 13/05/2010

Rowan appuya ses coudes sur la table, et saisit sa choppe de bière, avant de la vider puis de répondre aux questions posées par "Hartigan", donc.

"On n'est pas des sauvages, nous autres camelots, on a vachement d'honneur, même, enfin entre nous surtout. 2 cas de figures se posent, le premier et le plus chiant pour tout le monde, c'est si vous crevez pendant le trajet; la marchandise serait perdu, et en ne vous voyant pas revenir, je conclurai à votre mort et à la perte de la marchandise, une double-perte, enfin, pour nous une perte tout court.
Seconde hypothèse, vous perdez la marchandise mais survivez; dans ce genre de cas, on n'est pas du genre à laisser des pillards nous mettre des bâtons dans les fesses; ça veut dire qu'une fois informé de votre échec, le bureau central dépêchera une équipe de contre-mesure, comme dit le Chef. Ce qui est à la guilde reste à la guilde, c'est un de nos proverbes.

Bref, comme dans les 2 cas de figure, le risque est trop grand pour tout le monde, il y a des chances, disons 99,9% de chance que vous ne fassiez pas le retour vers ici seul. Soit le bureau central aura d'autres personnes comme vous à joindre à l'escorte, soit un membre permanent sera du voyage. Dans un cas comme l'autre, on considère une faille de livraison lorsque le délai de livraison est dépassé de 100% de la durée normale du voyage. En gros, pour remonter avec la cargaison, faut compter 4 jours; bah si vous n'êtes pas ici en 8 jours, on considère que la mission est un échec. Et on prends les mesures dont j'ai parlé.

Et pour ce qui est du cachet, j'ai pas le nombre exact, mais compte tenu des paramètres: distance/temps/valeur de la marchandise/personnel déployé, je dirais qu'il y en a pour 400 à 600 $ si vous êtes 2 convoyeurs; au delà, la prime sera moins importante. Ça fait déjà une jolie somme, si vous êtes dans le besoin."

Voila qui était aussi clair que de l'eau de roche, et qui aurait le mérite de lever les quelques incertitudes de Jeff.

Jeff était pour le coup très rassuré des paroles de Rowan. En cas de problème, il n'aurait pas à subir les contre-coups des attaques de bandits. Bien sûr, ses principes lui dicteront de prendre part à la chasse au bandit, mais bon.

- Bon. Ça me va. Je me mets en route dès aujourd'hui et je verrais là-bas à me trouver une équipe pour pouvoir faire le retour.

Jeff se leva de sa chaise et attrapa au passage les deux feuilles décrochées par Rowan. Il les regarda longuement et ajouta:

- Ces deux là, j'ai pas intérêt à les perdre, je sens. Bref. Disons qu'à pied, j'vais mettre un peu de temps. Je serais sans doute de retour dans moins de deux semaines, je suppose. Si tout se passe bien, du moins.

Très confiant en lui-même, Jeff resta avec un regard un peu inquisiteur pour voir si David comptait ajouter quelque chose. Après quoi il s'en irait sans doute vers Little Rock. A pied. Bordel.

Messages : 235 Date d'inscription : 13/05/2010

Rowan ajouta simplement:

"Si votre première mission de convoyage se passe bien, il y a des chances qu'on refasse appel à vous ensuite; aussi j'espère pou vous que ça se passera bien. Bonne route."

Après avoir levé sa pinte en sa direction, Rowan vida d'un trait le récipient à la santé de Jeff.

Quant à cet homme, la suite de sa journée consisterait à roupiller là... Elle est pas belle, la vie?